Ce fils de militaire, né à Benghazi en 1939, avait d'ailleurs débuté sur la bonne voie, en s'essayant au commerce de vins et spiritueux italiens. Mais l'appel du malt fut le plus fort, et Silvano créa sa première société, Samaroli Srl Wine and Spirits Merchants, dans les années 1960.

Le projet était initialement basé sur l'import. Passionné par le whisky, il souhaitait tout simplement pouvoir faire profiter de ses connaissances à sa clientèle. "Après tout, j'ai commencé à sélectionner pour moi, pas pour le public", confia-t-il au célèbre rhum geek Marco Graziano. Mais son sens de l'innovation et de l'aventure le poussa à faire évoluer sa structure en activité d'embouteillage indépendant, en 1979.

Silvano Samaroli

Pour remettre les choses dans leur contexte, il aura certainement fallu du talent et du culot à Silvano Samaroli, pour devenir le premier embouteilleur indépendant non-originaire du Royaume-Uni à embouteiller du scotch. Alors comme ça vous êtes importateur italien, et vous demandez aux distilleries d'embouteiller leur whisky, sous votre nom ?

Voyons cela sous un autre angle : vous êtes Écossais dans les années 1970, et vous ouvrez un restaurant de pâtes à Glasgow. Vous demandez à un chef italien ses recettes secrètes, puis vous les vendez sous votre nom (en mentionnant le nom du ragazzo en tout petit en bas de la carte). Oui ? Pour le coup, non.

Et pourtant, si.

Quoi qu'il en soit, on pourrait avoir tendance à l'oublier, mais si l'impétueux marchand de vins de Bologne est désormais connu pour ses rhums mythiques en provenance des Caraïbes, il débuta donc son exploration des spiritueux avec le whisky écossais.

Le brut de fût, la patte Samaroli

Pour se faire connaître, une personnalité et une histoire hors-norme ne suffiront pas. Dans sa quête du produit pur, et purement honnête, Samaroli commence à embouteiller des whiskies brut de fût, c'est-à-dire sans dilution. Du spiritueux haut voltage à plus de 50% d'alcool, à une époque ou la standardisation et le tout public faisait fureur, c'est osé. Mais ça marche.

En quelques années, ces éditions en brut de fût uniques (single cask) deviennent des valeurs sûres, tout simplement parce qu'elles sont exceptionnellement bonnes. La qualité plus que la quantité n'est pas qu'un simple argument marketing. Dénicher les fûts dont la traçabilité atteste d'un savoir-faire grandiose, cela prend du temps. De la sélection des céréales, au processus de distillation et de vieillissement, tout est contrôlé par Silvano.

Il se fait un nom et la demande dépasse peu à peu l'offre. Les prix montent, mais les connaisseurs s'accordent à dire que c'est mérité. Une sorte de Macallan des embouteilleurs indépendants : à l'achat ça commence à faire cher, mais c'est bon. Et puis à la revente, c'est carrément très, très cher, mais en plus d'être rare, c'est toujours aussi bon !

Un talent de dénicheur qui force le respect jusqu'en Écosse

"En Écosse, j'ai vu naître le single malt. Mais la fin est proche. La plupart des distilleries sont détenues par de grands groupes multinationaux et industrialisés. La farine de malt, qui constitue la base du processus de production, est presque la même pour tout le monde."

Malgré ses mots durs, Monsieur Samaroli était apprécié outre-Manche. Car avant tout, c'était un entrepreneur, un professionnel qui respectait au plus haut point le produit, et donc les producteurs, mais aussi ses clients. Quand tout le monde faisait du blend, il embouteillait les meilleurs single malts. Quand tout le monde notait les mentions d'âge (12,15,18 ans) sur la bouteille, Samaroli s'essayait au non-age...

Le projet Samaroli NoAge

Samaroli pensait qu'il était nécessaire de revenir à l'origine, en ne concentrant pas toute l'énergie uniquement sur le processus de production, mais en redonnant de l'importance à la figure du Maître Assembleur. Tous les produits étant "structurellement" identiques et ayant une maturation similaire, la seule façon de redonner de la vitalité à ces malts était de construire des assemblages de millésimes différents.

Assembler des fûts du même âge n'avait plus de sens, étant donné qu'il n'y avait plus de différence significative entre les différentes régions et distilleries. La seule solution devenait donc celle de mélanger des fûts d'âges différents.

Ainsi est né le projet Samaroli NoAge (appliqué aussi bien au whisky qu'au rhum). Il visait à construire des spiritueux de qualité en assemblant les ingrédients "verticalement" :

  • Des fûts jeunes qui ont su conférer fraîcheur, acidité et structure
  • Des fûts de 10-15 ans pouvant apporter vanille et fruité
  • D'autres fûts « vieux » capables de conférer douceur, complexité et élégance

Le résultat devait pouvoir étonner par sa complexité. Samaroli menait ce projet depuis la fin des années 1990 et était certain que ce serait l'avenir du Scotch Whisky et que - comme cela s'était déjà produit dans les années d'or - toutes les distilleries écossaises "copieraient" tôt ou tard ses idées.

Au final, il a fait grandir le monde du scotch et le monde du scotch l'aimait pour ça.

La roue des arômes de Samaroli

Jusqu'au-boutiste, Samaroli ne s'arrête pas à la simple sélection des fûts. En 2011, il met au point une forme de verre censée conserver les arômes naturels du spiritueux. Ce verre est désormais breveté et célébré par les experts du monde entier.

Samaroli a également développé un outil très utile pour aider à identifier les arômes primaires et secondaires que l'on retrouve généralement dans ses whiskies. La roue des arômes, version Samaroli.

Céréales : Tous les whiskies développent une caractéristique céréalière plus ou moins intense. Foin, son, houblon, maïs, blé, lait malté…

Esters: Les caractéristiques fruitées sont produites par les esters, qui se développent au cours du processus de fermentation : agrumes, miel, fruits (frais, cuits, séchés), solvants, "bubble gum"...

Floral : Les caractéristiques florales telles que les notes parfumées ou herbacées proviennent du processus de fermentation : fleurs fraîches, séchées, herbe, menthol…

Tourbé : Défini par des caractéristiques fumées ou médicinales dérivées de phénols et de composés apparentés qui sont produits par la combustion de la tourbe pendant le processus de maltage. Médicinal, mousse, fumée, encens, algues, iode.

Feints: Les caractéristiques des queues de distillation sont produites pendant le processus de distillation. Aussi appelée les "feints", il s'agit de la dernière section de l'alcool qui se condense. Cette dernière est pleine de composés dits lourds.

Soufre : Ces caractéristiques qui sont souvent décrites comme caoutchouteuses ou charnues se forment en grande partie au cours du processus de fermentation : viande séchée, caoutchouc, charbon, gaz, etc.

Boisé/Vineux : Il existe différents types d'influences boisées dans le whisky en fonction du type de fûts choisis et bien sûr de la durée de maturation. Vanille, meringue, épices, noix de coco, Xérès, résine, réglisse… Sans oublier les caractéristiques vineuses du vin blanc ou rouge, du Porto, du Sauternes, qui apportent des notes d'amande, de chocolat amer ou de crème.

Silvano Samaroli et le rhum

Dans les années 1990, Silvano Samaroli démarre une nouvelle aventure : il souhaite désormais étendre sa collection aux rhums. Mais pas n'importe comment. Une fois les fûts sélectionnés, il décide de les rapatrier en Écosse afin de les faire vieillir sous un climat continental. Moins soumis à l'évaporation et aux températures tropicales, le rhum développe ainsi un profil plus délicat qui convient au style de Samaroli.

Dans sa quête du rhum idéal, il procède de la même manière qu'avec les whiskies et suit scrupuleusement tout le processus de fabrication.

Pour lui, l'ajout de sucres et d'édulcorants dans le rhum sont "des sophistications indignes, honteuses et absolument dégoûtantes. Peut-être que d'un point de vue commercial, ce sera positif, mais d'un point de vue qualitatif, ce sera une débâcle dont on ne pourra plus se remettre. Et puis le rhum redeviendra ce qu'il était avant." Dans le mille, Emile.

Passation de pouvoir

Avec le temps, la maison Samaroli redonnera vie aux rhums de Demerara, de Jamaïque, de la Barbade, du Nicaragua ou encore aux Fidji. Mais ce travail, il ne le commença pas tout seul.

En 2008, Monsieur Samaroli décide de céder son entreprise à Antonio Bleve, dont la famille était l'un de ses meilleurs clients. Ce fils de restaurateurs romains développa sa fibre humaine et commerciale dans un point de restauration que ses parents géraient avec les Frescobaldi à l'aéroport de Rome. C'est sûrement cette effervescence qui amènera Bleve à exceller dans le négoce international de whiskies et de rhums, afin de devenir le nouveau directeur de la maison Samaroli.

Silvano continuera d'accompagner Antonio dans l'entreprise, qui entamera une période de croissance ininterrompue jusqu'alors. Célébrée en Italie, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne, la marque peine encore à se faire connaître en France.

Silvano Samaroli nous quitte en 2017 à l'âge de 77 ans, lors d'un retour de voyage à Singapour.

Silvano Samaroli (1939 - 2017) et sa femme Maryse