Si on vous demandait de peindre un tableau représentant une distillerie typique des Highlands, il se pourrait bien qu’il ressemble fortement à Fettercairn. Les bâtiments ont une structure traditionnelle avec des murs blanchis, des toits en ardoises noires et une « pagode » surmontant le vieux four. La distillerie est située dans un cadre tranquille en périphérie du village de Fettercairn, au milieu des pâturages de bétail et de moutons et des récoltes agricoles. En toile de fond, on distingue les pentes inférieures de la chaîne de montagnes des Cairngorms qui s’élève au loin.

Fettercairn se trouve dans le comté de l’Aberdeenshire, à mi-chemin entre Dundee et Aberdeen mais à 8 km de la voie rapide A90, un axe à double voie très fréquenté reliant les deux villes. Ainsi, le whisky qu’elle produit est classé comme single malt des Highlands. Comme la plupart des distilleries écossaises actuelles, elle n’appartient pas à des propriétaires locaux mais fait partie de l’entreprise Whyte & Mackay basée à Glasgow. Celle-ci inclut également dans son portefeuille les distilleries de whisky de malt Dalmore, Jura et Tamnavulin. Whyte & Mackay appartient quant à elle à Emperador Inc., spécialiste philippin des brandy.

Toutefois, Fettercairn est gérée par Stewart Walker qui est né et a grandi dans le village avant de rejoindre la distillerie où il est présent depuis 30 ans maintenant. La majorité des employés y travaillent également depuis de nombreuses années. Ils considèrent donc vraiment Fettercairn comme « leur » distillerie.

Origines

Son histoire remonte à 1824, année durant laquelle le propriétaire local Sir Alexander Ramsay transforma cette ancienne maïserie. Au début du XIXe siècle, la distillation illégale était monnaie courante dans la région ; on dit que Ramsay recruta d’anciens distillateurs illégaux de whisky pour travailler dans sa nouvelle entreprise dont la licence fut d’abord accordée à James Stewart & Co l’année suivante. 

En 1830, Ramsay vendit son domaine de Fasque, y compris la distillerie, à Sir John Gladstone, le père de celui qui allait être quatre fois Premier ministre britannique, William Ewart Gladstone. La distillerie est restée dans les mains de la famille Gladstone jusqu’à sa fermeture en 1926, suite à quoi elle a été rachetée en 1939 par l’Associated Scottish Distillers Ltd de Joseph Hobbs, propriétaire de la distillerie de Ben Nevis.

Avec le « boom » du whisky des années 1960, le nombre d’alambics a doublé à Fettercairn, qui en possédait alors quatre en 1966. Cinq ans plus tard, la distillerie a été acquise par Tomintoul-Glenlivet Distillery Co Ltd puis a été rachetée en 1973 par Whyte & Mackay Ltd, qui est le propriétaire de Fettercairn depuis cette date.

Single malt

Alors que les marques de single malt Dalmore et Jura de l’entreprise attiraient toute l’attention, Fettercairn s’est faite plus discrète et était principalement utilisée pour les mélanges, en particulier pour le mélange « maison » de Whyte & Mackay. Néanmoins, il y a dix ans, des efforts importants ont été déployés pour assurer à Fettercairn une présence plus forte dans le domaine des single malts avec l’introduction de qualités de 24, 30 et 40 ans d’âge, suivis des NAS Fasque et Fior (termes gaéliques signifiant « pur » ou « vrai ») venus remplacer le cru de 12 ans. La gamme Fior comprenait de nombreux spiritueux de 14 et 15 ans d’âge, ainsi que 15 % de whisky fortement tourbé de 5 ans issus de fûts de bourbon de premier remplissage.

Aujourd’hui pourtant, Fettercairn est en plein dans un chapitre inédit et dynamique de sa longue histoire puisque sa gamme précédente s’est vue remplacée en 2018 par des qualités de 12 et 28 ans d’âge et par des quantités limitées d’expressions de 40 et 50 ans.

Andrew Lennie est spécialiste britannique de la marque à Fettercairn. Il a rejoint l’équipe il y quelques mois après avoir travaillé comme ambassadeur de marque pour l’ouverture de la distillerie Lindores dans la région de Fife. « C’est un peu comme commencer avec une autre nouvelle distillerie étant donné que Fettercairn n’était pas tellement connue auparavant, explique-t-il. C’est un joyau caché. »

La décision de mettre en bouteille des 12 et 28 ans d’âge pour la nouvelle gamme de Fettercairn peut sembler un peu étrange, mais Andrew souligne que « Fettercairn a toujours été beaucoup utilisée pour les mélanges et il se trouve que nous n’avons pas assez de stock entre ces deux âges. Toutefois, nous proposons un whisky de 16 ans distillé avec du chocolate malt et affiné dans des fûts de sherry et de porto, ainsi qu’un cru exclusif de commerce de passage ayant vieilli 23 ans et quelques éditions limitées de cette année. Nous avons de nombreux trésors dans nos vieux stocks, notamment notre plus ancien fût qui a été rempli en 1962. Au total, nous possédons environ 30 000 fûts en pleine maturation dans les 14 entrepôts de la distillerie. 

« Le 12 ans est idéal pour découvrir la marque avec un highball très rafraîchissant. Tout comme celui de 28 ans d’âge, il reflète le caractère des new-make – frais et vibrant, aux fruits tropicaux, tandis que le 28 mêle l’arôme sucré des friandises turques à une touche légèrement salée. »

Reflétant les « trésors de vieux stocks » mentionnés par Andrew, seules 818 bouteilles de 40 ans – distillé le 23 décembre 1977 – ont été distribuées après avoir passé 35 ans dans des fûts de bourbon puis cinq ans dans des fûts de sherry Apostoles. On compte seulement 234 bouteilles de 50 ans – distillé le 11 juin 1966 – qui a vieilli pendant 45 ans dans des fûts de bourbon avant de passer ses cinq dernières années dans des fûts de porto.

Caractère de la distillerie

Alors que la distillerie avait auparavant l’habitude de produire une certaine quantité de spiritueux tourbé chaque année, principalement pour des mélanges, aucun malt tourbé n’a été utilisé ces sept dernières années. Avant, le Fior tourbé était l’un des deux principaux produits de la marque. Pourtant, le gérant de la distillerie Stewart Walker affirme : « Je ne crois pas que Fettercairn soit associée à la tourbe, il ne s’agit pas vraiment de ça. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur le caractère de la distillerie. »

Ce caractère est influencé par une particularité propre à Fettercairn : la présence d’« anneaux de refroidissement » sur ses alambics. Comme l’explique Stewart, « L’anneau de refroidissement fait couler de l’eau fraîche sur le col de l’alambic, ce qui crée du reflux. Les notes plus légères et florales sont extraites tandis que les molécules les plus lourdes retombent avec le changement de température. En fait, cela permet plus de contact avec le cuivre.

Alistair Menzies, qui était le responsable au début des années 1950, recherchait une note plus légère et plus florale dans le whisky. Il a conçu les anneaux de refroidissement pour obtenir cet effet. J’imagine qu’il a fait des expériences en demandant à des employés équipés de tuyaux d’arrosage de verser de l’eau sur les alambics puis qu’il a étudié l’odeur et la saveur du spiritueux issu de ces distillations. Il a ensuite demandé au technicien de la distillerie de fixer un anneau en cuivre autour de l’alambic, avec des trous dedans pour permettre à l’eau de s’écouler. L’original de 1952 est encore utilisé sur notre alambic n° 1 aujourd’hui, et une copie du système a été installée sur le n° 2 lorsque la distillerie a doublé sa capacité en 1965/66 avec l’introduction d’une deuxième paire d’alambics. »

Étant donné leur singularité, il n’est pas surprenant de voir que les anneaux de refroidissement sont largement évoqués dans les supports promotionnels de la gamme actuelle de Fettercairn. Les alambics ne sont pas vernis et étincelants mais portent fièrement les traces de leur contact avec l’eau qui crée une patine élégante sur le cuivre. Même la présentation rappelle les anneaux de refroidissement : le design de la bouteille présente un renflement en forme d’anneau au niveau du goulot et reproduit l’effet de l’eau s’écoulant dans le verre. Elle arbore également la tête de licorne, emblème du clan Ramsay, qui est mise en évidence dans la distillerie elle-même. 

Outre les anneaux de refroidissement, l’autre particularité influençant le caractère du single malt de Fettercairn est l’augmentation du temps de fermentation qui est le résultat d’un programme majeur de modernisation de la distillerie en 2015. Dans le cadre de ce programme, un nouveau chai a été créé afin d’accueillir les huit cuves de fermentation en pin d’Oregon déjà existantes ainsi que trois nouvelles cuves. Cette augmentation de la capacité a permis de prolonger le temps de fermentation qui est alors passé de 48 heures – qui est en réalité le délai minimum de viabilité – à 56 heures, avec la possibilité d’aller jusqu’à 60 heures si besoin.

Stewart Walker explique les conséquences positives de ce développement. « Nous obtenons le distillat de façon plus régulière qu’avant. Une fermentation de 56 heures nous évite d’avoir les sucres non fermentés qui colleraient aux serpentins de chauffage dans les alambics, impliquant parfois un temps de chauffage du wash plus long. »

Ces dernières années, le caractère de nos spiritueux a également été influencé par le remplacement en 2009 des condenseurs en acier inoxydable sur les alambics, qui avaient été installés 14 ans plus tôt, par des condenseurs plus conventionnels à base de cuivre. Le fait d’introduire ou de réintroduire davantage de cuivre dans le système a permis d’alléger et d’adoucir le new-make spirit.

Maturation

Le spiritueux commence sa vie dans la cuve de brassage en fonte « à l’ancienne » qui a été récupérée à la distillerie Glenugie de Peterhead suite à sa fermeture dans les années 1980. On y a ajouté un grand couvercle en cuivre doublé d’acier inoxydable afin d’en faciliter le nettoyage. Vingt-quatre brassages sont effectués chaque semaine et la distillerie a une capacité théorique de 2,2 mla bien que la production annuelle soit actuellement de 1,5 mla.

Concernant la maturation, Stewart Walker explique que « une grande partie du new-make va dans des fûts de bourbon de premier remplissage, mais nous envisageons également d’utiliser différents fûts dès le début puis de l’affiner dans une variété de fûts. Nous expérimentons beaucoup en ce moment avec Gregg Glass [Maitre assembleur de whisky chez Whyte & Mackay], qui est très porté sur l’innovation. L’importance du bois est primordiale pour Gregg, et il a beaucoup d’influence sur ce que nous faisons à Fettercairn. »

Et d’ajouter que « L’entreprise a constaté un vrai manque dans son portefeuille de single malts avec Fettercairn. Nous comptons sur une variété de vieux whiskies. Chaque marque a son propre caractère et son propre style, et bien sûr une histoire bien à elle. L’histoire de Dalmore est principalement basée sur le bois, tandis que pour Fettercairn il s’agit plutôt de production. Fettercairn est un whisky de qualité que l’on peut placer entre les gammes de Dalmore et Jura.

La distillerie attire environ 5 000 visiteurs par an et en 2020, nous organiserons une mise en bouteille exclusive à la distillerie, qui n’a pas encore été annoncée, pour récompenser les personnes qui sont venues jusqu’à Fettercairn. En parallèle, la distillerie vend également l’expression exclusive de Travel Retail de 12 ans, affinée pendant 12 à 24 mois dans un fût de sherry Pedro Ximénez. Par ailleurs, nous avons pour projet de transformer l’ancien bureau des Douanes et Accises de l’un de nos entrepôts en une salle dédiée à la mise en bouteille par les visiteurs. »

D’après Stewart Walker, « On peut faire tellement de choses avec Fettercairn, c’est un whisky extrêmement polyvalent, et nous vivons une période passionnante pour la distillerie et la marque. »

Contexte – Chronologie de Fettercairn

1824 : Ouverture de la distillerie de Fettercairn par Sir Alexander Ramsay.

1829 : Le domaine de Fasque est vendu à Sir John Gladstone, père de William Gladstone qui a été quatre fois Premier ministre du Royaume-Uni et a supprimé les taxes sur le malt et la part des anges.

1861 : La Reine Victoria et son mari Albert s’éclipsent en douce de Balmoral, situé à proximité, pour visiter Fettercairn incognito. Plus tard, les villageois érigent un monument pour commémorer cette visite – aujourd’hui, l’arche est toujours debout dans le centre du village.

1887 : La distillerie de Fettercairn est presqu’entièrement détruite par un incendie et ne rouvre pas avant 1890.

1926 : La distillerie ferme ses portes.

1939 : La production reprend dans la distillerie qui appartient désormais à l’Associated Scottish Distillers.

Années 1950 : Le directeur de la distillerie, Alistair Menzies, conçoit des anneaux de refroidissement uniques pour créer une expression plus pure – ce système est aujourd’hui associé aux alambics et aux spiritueux de Fettercairn.

1952 : Le système original d’anneaux de refroidissement de Menzies est intégré à l’alambic n° 1 de Fettercairn, une solution qui est encore aujourd’hui unique dans le domaine de la production de whisky écossaise.