Isle of Raasay, une île et son whisky
Mais ces dernières années, autant que les globe-trotters, ce sont également les amateurs de whisky qui se sont intéressés à ce petit bout d'Écosse.
Officiellement apparue sur la mappemonde du scotch en 2017, il semblerait que l'île a depuis retrouvé une forme de calme et de prospérité bien mérités.
Embarquons sur le ferry qui nous mène jusqu'à l'Île de Raasay, et passons faire un tour dans la toute première distillerie officielle, Isle of Raasay.
Tout ce qui petit est mignon !
"Un projet de distillerie arrive sur la minuscule île des Hébrides", titrait en 2015 un journal écossais, pour introduire ce qui allait devenir le premier producteur de whisky de l'Île de Raasay. "Minuscule". Le terme est précisément bien choisi. Longue de vingt-deux kilomètres, sa superficie est à peine supérieure à celle de Manhattan.
L'île de Raasay est une proche voisine de l'île de Skye. Distante d'une rapide traversée en ferry de 25 minutes, elle conserve néanmoins sa propre identité, bien distincte.
Quant à sa population - ils sont environ 160 - il semblerait que l'isolement ne leur pèse pas trop ! Statistiquement, environ un habitant sur dix travaille pour la distillerie, pas de quoi s'ennuyer donc.
L'histoire de Raasay
Ce qui fait aujourd'hui la force de Raasay et de sa distillerie, c'est en partie son histoire. Une histoire assez coriace dirons-nous. Pour tenter de la comprendre, il faut remonter (au moins) au début des années 1800.
Durant des siècles, cette île était le fief du clan MacLeod de Raasay. En 1745, lorsque le chef de clan commit la malheureuse erreur de soutenir les Jacobites durant leur ultime insurrection, les habitants de l'île subirent des Anglais les représailles qui s'imposaient. En clair, ils furent pillés et brûlés.
Plus tard, les MacLeod - comme beaucoup de chefs devenus propriétaires - se laissèrent doucement aller à la banqueroute. En 1843, l'île est alors vendue à George Rainy, fils d'un pasteur presbytérien du Sutherland. Le chef des MacLeod accepta 35 000 guinées d'or et partit rapidement pour la Tasmanie.
Rainy lui, avait fait fortune dans le commerce des esclaves dans les Caraïbes. En arrivant sur Raasay, il rasa 12 villages et consacra tout cet espace devenu libre à l'élevage des moutons. Deux bateaux remplis d'insulaires furent envoyés en Amérique, et un en Australie.
Sur l'île, il imposa une interdiction de procréer. Lorsqu'un insulaire transgressait cette interdiction, sa maison était brûlée. Ambiance.
Ces récits de la tyrannie de Rainy furent présentés à la Commission Napier, chargée d'enquêter sur les conditions de vie dans les Highlands et les îles, lors de sa visite à Raasay en 1883. Il apparaît qu'un des témoins de la Commission, John Gillies, était l'arrière-arrière-grand-père de Norman Gillies, l'actuel directeur des opérations de la distillerie.
De tempêtes en naufrages
L'homme qui succéda à Rainy lui, préférait chasser le cerf plutôt que d'élever des moutons. Ce qui engendra de nouvelles expulsions d'habitants.
En 1911, l'île fut achetée par le géant industriel William Baird & Co, le plus grand producteur de minerai de fer de l'époque.
Raasay est effectivement riche en minerais. William Baird & Co construisirent des rangées de cottages - qui forment toujours le village principal d'Inverarish - et firent construire une jetée et un chemin de fer.
Lorsque la guerre éclata, la plupart des travailleurs locaux partirent se battre pour le roi et la patrie.
L'effort de guerre nécessitait du minerai de fer et le ministère des munitions envoya des prisonniers de guerre allemands pour compléter la main-d'œuvre sur place. En 1917, une délégation du syndicat des mineurs et des travailleurs de Raasay se rendit à Londres pour rencontrer Winston Churchill. Une trêve a été conclue et Baird's partit après la guerre.
La demande de terres de la part des anciens combattants obligea le gouvernement à reprendre des domaines, dont Raasay, pour les diviser en crofts. Pour l'anecdote, un croft est un lopin de terre en pente, balayé par le vent, et volontairement trop petit pour que les crofters ne puissent en vivre. Entre ça et se faire brûler vif, on peut dire qu'il y a du mieux.
Des jours meilleurs ?
Et pourtant. Pour une si petite communauté, Raasay attira une liste remarquablement importante de personnages extraordinaires. L'un d'entre eux, dont ils se souviennent avec émotion, est un médecin du Sussex, John Green.
Au début des années 1960, par un processus mystérieux, le Docteur Green acheta les principales propriétés de l'île au gouvernement écossais à un prix défiant toute concurrence. Il s'agit notamment de Raasay House, de la maison voisine Borodale House et de la Home Farm, qui fournit le lait de l'île.
Peu à peu, il est apparu qu'en fait, il n'avait pas la moindre intention de faire autre chose de ces biens que de les laisser pourrir. L'histoire a fait long feu, notamment lorsque Green s'opposa à la construction d'une cale pour un car-ferry au motif qu'elle gâcherait la vue depuis Raasay House (qu'il n'a visité qu'une seule fois).
Dans les années 1970, Raasay et « Dr No » - sobriquet de picky Dr. Green - sont devenus le symbole du débat sur la propriété foncière dans les Highlands. Ce qui est légèrement ironique, puisque Green ne possédait qu'une infime partie de l'île (mais suffisamment pour bloquer le développement et, pendant des années, priver les habitants de l'île d'un car-ferry). Finalement, le Highlands and Islands Development Board rachètera Raasay en 1979.
La distillerie de l'Île de Raasay, une réussite que l'île attendait depuis longtemps
Le problème qui se posait alors était le suivant : comment créer des emplois sur l'île ? Raasay House fut d'abord sauvé de l'abandon pour devenir un centre de plein air, alors que la Borodale House, elle, devint un hôtel. Mais en 2012, l'entreprise fit faillite. Ce qui ouvrira la voie à la distillerie de l'île de Raasay.
Parmi la nouvelle génération de petites distilleries artisanales, celle de Raasay fait figure de chef-d'œuvre. L'extension de Borodale House (la salle de distillation) est élégamment conçue et la vue sur le Cuillin de Skye est...
Le whisky Isle of Raasay
Ouverte en 2017, la distillerie Isle of Raasay est l'œuvre de deux entrepreneurs écossais, Bill Dobbie et Alasdair Day. Bill est issu du secteur de la finance, tandis qu'Alasdair travaillait déjà dans le monde du whisky dans la zone des Scottish Borders. Ils se sont associés en 2014 avec l'idée initiale de lancer une distillerie dans ces dernières.
Mais l'opportunité d'ouvrir sur Raasay s'est présentée. Et elle est apparue comme une évidence.
Quant au directeur des opérations, Norman Gillies, il n'est pas là hasard. Issu d'une famille installée à Raasay depuis plusieurs siècles, il s'est engagé à ce que « tout ce qui compose l'ADN de Raasay se retrouve en bouteille ». Norman souligne également la dimension humaine de ce projet :
« Un certain nombre de nos employés sont des natifs de l'île. Ils ont fait des études universitaires sur le continent, puis sont revenus travailler ici. Pour moi, la différence entre ce secteur et les autres industries de l'île, ce sont les possibilités d'apprentissage et d'évolution ».
Il a lui-même quitté Raasay pour obtenir un diplôme d'ingénieur civil. L'occasion de revenir sur l'île s'est présentée lorsqu'il a été embauché pour les travaux de terrassement de la nouvelle distillerie. C'est ce qui l'a amené à changer de carrière et à conclure que « le whisky est quand même plus intéressant que le béton ».
Gin & Scotch
La distillerie Raasay lance son premier embouteillage en 2020, avec son single Malt Inaugural release, qui fut un franc succès. Un spiritueux légèrement tourbé, vieilli en fûts de vin rouge.
Produit à 7 500 exemplaires, ce premier exemplaire fut entièrement vendu à l'avance. Cependant, la capacité de production de la distillerie étant limitée, ils ne pourront pas compter uniquement sur le succès commercial de leurs whiskies.
Conçu à l'origine par une des alternantes de la distillerie pour son « projet d'étude », le gin de lsle of Raasay a lui aussi connu un grand succès : « Au départ, nous n'avions pas l'intention de produire un gin », explique Norman, « mais les gens partent presque du principe que c'est la base, alors nous l'avons fait ».
Ce petit-lait infusé avec des racines de rhubarbe et des zestes d'orange se marie en toute simplicité avec votre meilleur tonic, une rondelle d'orange et quelques amis !
Sélection
Raasay Dùn Cana First Edition
« Dùn » signifie bastion en gaélique. La légende de l'île raconte que « Cana » était un guerrier insulaire qui prenait le point culminant de Raasay comme forteresse et point de vue. Le sommet de l'île nommé d'après Cana est devenu « Dùn Cana » – prononcé « Doon Caa-nuh ».
Alliant deux distillats tourbé et non tourbé, Dùn Can First Edition est aussi un assemblage de fûts atypiques. Vieilli dans des ex fût de Rye américain, ces deux distillats passent ensuite dans des quarters casks de PX et d'Oloroso pour une seconde maturation.
Dùn Cana nous offre un éventail d'épices poivrées, de raisins secs et de plus classiques notes de vanille avec une finale de chocolat aux cristaux de sels. Sur une longue finale persistante, il s'envole sur une légère pointe de fumée et de bois de santal.
Raasay Unpeated Chinkapin Oak Cask
Fraîchement carbonisés puis toastés, les fûts de chêne blanc américain Chinkapin, ou Quercus Muehlenbergii, sont fabriqués sur mesure pour cette cuvée. Le Chinkapin est un type de chêne originaire du centre et de l'est de l'Amérique du Nord.
La carbonisation du fût apporte une couleur et une saveur immédiate au distillat. La chauffe élevée quant à elle va caraméliser les sucres naturels du bois. Attendez-vous à des notes très caramel, suivis par des arômes de fruits noirs bien mûrs (malgré son jeune âge !)
Raasay Chinkapin sort également une année sur deux en version tourbée.
Isle of Raasay Batch R02.2
La signature de la distillerie. Son profil légèrement tourbé ne cache rien de son intense caractère fruité de cerises noires, d'abricot et de cassis. Emmenée par les épices douces, la finale est discrètement saline.
Embouteillé à 46.4% vol pour satisfaire tous les palais !