Whisky et diplomatie

L’histoire du whisky japonais est à la fois fascinante et charmante. Elle débute en 1854.

Cette année, le commodore Matthew Perry (pas celui que l'on connaît) fut envoyé au Japon sur ordre du Président Américain Millard Fillmore. L’objectif de la mission de Perry était de renverser la politique isolationniste japonaise - vieille de 220 ans - sous le shogunat Tokugawa et de garantir de nouvelles routes commerciales.

Le Traité de Paix et de Coopération entre le Japon et les États-Unis conclu, Perry organisa un banquet sur le pont de son vaisseau amiral, le USS Powhatan. Nombres des invités étaient des convives japonais et goûtèrent pour la toute première fois au whisky.

Par la suite, d’autres accords commerciaux furent signés, et le Japon ouvrit ses portes au commerce, du moins à l’Occident. Les importations se mirent à affluer vers le Japon, y compris la bière, le vin et les spiritueux. Le whisky fut alors une source d’inspiration pour le peuple japonais, mais les imports restaient rares et chers.

Les producteurs locaux se mirent donc à créer leurs propres produits pour tirer profit de la demande. Pour ce faire, ils mélangeaient de l’alcool avec du sucre, des épices, ou d’autres arômes. Mais ceci demeurait très, très loin du whisky authentique.

Taketsuru, l'émissaire japonais du whisky

La Settsu Sake Company constata qu’il y avait un vide à combler dans le marché pour du whisky authentique. C’est ainsi qu’en 1918, ils envoyèrent un étudiant en chimie, Masataka Taketsuru, en Écosse pour directement apprendre le processus de distillation du whisky.

Taketsuru s’inscrivit à un programme de chimie à l’Université de Glasgow, et se dirigea ensuite à Elgin à la recherche de l’auteur de The Manufacture Of Spirit: As Conducted in The Distilleries Of The United Kingdom, de J.A. Nettleton.

En premier lieu, Taketsuru traduisit le livre en japonais. Puis une fois qu’il localisa Nettleton, ce dernier lui demanda £15 par mois pour le former et le loger. £15 par mois peuvent sembler une petite somme, mais c’était au-delà du budget de Taketsuru. Ceci aurait pu être la fin de l’histoire, cependant, Taketsuru était déterminé. Il se mit à la recherche d’un programme d’apprentissage avec une carte des distilleries de Speyside en main.

La deuxième distillerie à laquelle il se rendit, Longmorn, l’accueillit pendant une courte durée et Taketsuru nota méticuleusement chaque détail dans son carnet, avant de retourner à Glasgow pour continuer ses études.

Vivre d'amour et de whisky

Durant sa première année d’étude, Taketsuru se lia d’amitié avec une étudiante en médecine, Ella Cowan. Il fut bientôt invité à sa maison familiale où il devint ensuite pensionnaire. S’ensuivit une amitié forte entre Taketsuru et la sœur aînée d’Ella, prénommée Rita, les deux partageants une passion pour la musique et la littérature – un peu plus d’un an plus tard, le couple heureux se maria à Glasgow.

Cependant, les débuts furent difficiles car leurs parents respectifs désapprouvèrent du mariage. Imperturbables, ils commencèrent leur vie de couple mariée à Campbeltown, à environ 100 miles à l’ouest de Glasgow, au-delà de l’île d’Arran.

Après un certain temps, les nouveaux mariés traversèrent l’océan atlantique pour se rendre aux États-Unis, avant de finalement rejoindre le pays natal de Taketsuru. Ce dernier prit un poste à la Brasserie Settsu Co., qui faisait face à l’adversité à cause de l’instabilité économique, l’inflation et la récession qui s’abattait suite à la première guerre mondiale.

Taketsuru continua d’y travailler mais fut mis dans une position difficile. Settsu trouvait qu’agir uniquement d’après les connaissances de Taketsuru était un trop gros risque à encourir. Par conséquent, Taketsuru se sépara avec Settsu et trouva un emploi comme enseignant de chimie dans une école.

Shinjiro Torii, le commerce dans la peau

Entre-temps, les affaires d'un certain Shinjiro Torii ne se déroulent pas trop mal. Propriétaire d'une échoppe spécialisée dans l'import de vins et de Porto depuis 1899, ce commerçant d'Osaka souhaite désormais se développer. Son entreprise, Torii Shōten, plus connue aujourd'hui sous le nom de Suntory, produisait des imitations bon marché de whiskies américains et écossais.

Torii avait compris qu’il y avait un vide à combler dans le marché. Il savait qu’il y avait un réel besoin d’une authentique distillerie de whisky au Japon. Il se mit donc en contact avec Taketsuru pour installer la première distillerie du pays – Yamazaki.

Yamazaki pour la vie...

Cinq ans plus tard, en 1929, le premier whisky malt authentique de la Distillerie Yamazaki, Shirofuda, ‘White Label’ fut mis en vente. Mais White Label ne se vendit pas bien.

Il est supposé que le goût fumé ne plaisait pas aux japonais qui n’y étaient tout simplement pas habitués.

Afin de s’assurer que sa société connaisse un succès, Torii voulait créer une expression au goût des consommateurs japonais. En revanche, Taketsuru était contre cette idée et voulait rester fidèle à sa passion – créer un whisky de la manière qu’il avait apprise en Écosse.

... Et Nikka mon amour

A la fin du contrat de 10 ans, le partenariat entre Taketsuru et Torii fut dissous. À la suite de quoi, Taketsuru entama un nouveau chapitre en formant Nikka. Restant fidèle à sa cause, Taketsuru choisit la petite ville de Yoichi comme endroit idéal pour une distillerie sur les terres du Japon. Le climat et l’air vivifiant de la région étant le plus proche de celles de l’Écosse qu’il allait trouver.

La distillerie Yoichi

Taketsuru commença à distiller en 1936, utilisant les premiers alambics qu’il avait créés. En 1940, la première expression de Nikka fut dévoilée, Nikka Whisky Rare Old. Ce moment marqua le début de la grande rivalité entre whiskies japonais, Nikka et Suntory, qui continue jusqu’aujourd’hui. 

En avançant dans le temps, le whisky japonais devint bien plus qu’une simple imitation de son cousin écossais.

Le whisky japonais, une eau-de-vie à part entière

Il y a tant d’éléments qui font du whisky japonais une eau-de-vie à part entière. Certaines choses qui peuvent expliquer ces différences sont naturelles. L’eau japonaise par exemple. Elle est si claire et riche en minéraux qu'elle apporte fraîcheur et complexité.

Le climat japonais et les saisons distinctes en second lieu. Il est dit que ceci aide le vieillissement dû à un affinage bien plus rapide. Ou encore les saveurs uniques du chêne japonais – le mizunara. Car les whiskies japonais sont souvent vieillis en fûts de bourbon ou xérès et ensuite transférés en fûts de mizunara pour développer les arômes davantage.

La folle envolée de la demande   

À mesure que la popularité des whiskies japonais crût, nombres d’entre eux remportèrent de prestigieuses récompenses, tel que le Yamazaki Sherry Cask 2013 qui fut récompensé Meilleur Whisky du Monde par la Jim Murray's Whisky Bible 2015. En effet, les connaisseurs de whisky ainsi que les investisseurs achètent les actions et font donc augmenter les prix.

Avec une quantité limitée de whiskies vieillis en circulation, les distillateurs japonais ont dû innover avec ce qu’ils avaient. Notamment en allant au-delà des whiskies single malts vieillis et des whiskies single grain.

Grâce à cela, certains des whiskies d’assemblage les plus exquis furent créés au Japon.

La hausse rapide de la popularité des whiskies japonais a eu pour conséquence que certaines variétés ont dû être abandonnées. Il n’y avait tout simplement pas assez de liquide pour répondre à la demande. Pour ces raisons, en 2018, Suntory a donc annoncé l’arrêt de vente du Hibiki 17 ans et temporairement du Hakushu 12 ans.

La culture japonaise traditionnelle, le souci du détail et ‘Kaizen’ – la philosophie de l’amélioration continue et progressive – sont tous liés à l’art de la fabrication du whisky au Japon. Ceci explique en partie les caractéristiques à la fois subtiles et délicates et pourtant puissantes de beaucoup de whiskies japonais.

Avec de plus en plus de whiskies japonais remportant des prix internationaux, nous nous attendons à ce que leur popularité ne cesse de croître. Cette expansion fera sans doute augmenter davantage les cotes pendant que l’approvisionnement tente de répondre à la demande.

Il semblerait que ce soit le moment propice de goûter ou d’investir dans le whisky japonais...